« Corps parasite » : critique d’une pièce viscérale sur l’obsession du corps et le mal-être existentiel

Un été trop lourd pour respirer

Imaginez un été moite en pleine ville. Pas le genre de chaleur qui donne envie de sortir en gougounes avec crème molle, non : plutôt celle qui colle à l’âme comme une seconde peau.

Un jeune homme, prisonnier d’une colocation étroite comme une cage thoracique, travaille à un emploi qu’il déteste avec l’énergie d’un condamné à la chaîne. Sa mère ? Présente comme une tache de vin sur un mur blanc : impossible à ignorer, mais trop vieille pour l’effacer. Et dans tout ce chaos existentiel, une obsession soudaine : s’acheter une chemise. Une chemise, rien de plus. Mais dans cette quête textile se cache le début de la fin.

Bienvenue dans « Corps parasite », une pièce de théâtre qui dérange, fascine et sonde jusqu’aux tréfonds de notre identité corporelle.

Le quotidien comme piège affectif

Le personnage principal vit avec Amélie, présence à la fois chaleureuse et étouffante. Il hait son travail, un emploi alimentaire qui ne nourrit que ses angoisses. Sa relation avec sa mère est tendue, un mélange toxique d’amour, de honte et de silence.

Le décor est posé pour une lente dégringolade.

Une chemise peut tout changer… vraiment ?

Tout bascule lorsqu’une publicité banale déclenche une obsession : une chemise rayée, à la coupe douteuse, mais portée par un mannequin-fantôme qui lui ressemble comme un reflet en sueur. L’achat devient une promesse de métamorphose.

Grâce à une carte de crédit obtenue au prix de l’humiliation d’une cosignature maternelle, le personnage croit saisir l’opportunité d’un nouveau départ. Une illusion de contrôle, vite balayée par le chaos intérieur.

Le corps comme théâtre de l’angoisse

À mesure que la chemise tarde à arriver, une nouvelle obsession émerge : son nombril. Moiteur inexpliquée, sensations étranges, odeur obsédante. Le corps devient suspect, objet de surveillance et de dégoût. Il s’inspecte, fouille, creuse. Il croit y découvrir une masse dure, une sorte de « pierre de nombril », métaphore percutante d’un mal-être enfoui. Comme si toute sa douleur s’était cristallisée là, dans ce centre oublié du corps. La métaphore devient matière. Et l’obsession devient mission.

Autodestruction et silence complice

La spirale se poursuit : la consommation de drogue redevient routine, les sorties avec Amélie se teintent d’amertume, la solitude s’intensifie. Malgré les rires partagés, une distance s’installe. Jusqu’à la scène glaçante, pendant une soirée de poésie dans un café, où il se réfugie aux toilettes pour tenter d’extraire cette « chose » nichée en lui à l’aide d’un couteau. L’horreur devient physique, palpable : odeur, sang, fuite. Mais personne ne semble le voir.

Le corps ne veut plus être. Il s’efface dans la ville comme une tache d’huile sur un trottoir mouillé. On ne le voit plus. Il laisse derrière lui des indices : un post-it adressé à sa mère, une horloge arrêtée, une chemise souillée… et disparaît, en silence. Le théâtre de sa vie s’achève sans spectateur attentif.

Une fin troublante, poétique, presque métaphysique

Symboles puissants et thématiques viscérales

  • Nombril : le centre oublié, transformé en blessure vive. La cicatrice de la naissance, devenue parasite.
  • Chemise : vêtement de renouveau rêvé, elle finit par incarner l’échec de toute transformation durable.
  • Amélie : figure d’un confort apparent, elle incarne aussi le déni collectif face à la souffrance mentale.
  • Post-it : Les mots qu’on ne dit pas à voix haute.

L’équipe artistique : entre lucidité brute et sensibilité scénique

Étienne Béland  (texte et performance)
Formé à l’École de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe (promotion 2023), Étienne Béland livre dans « Corps parasite » une performance solo d’une intensité rare. Il incarne un être en crise, oscillant entre pulsion d’effacement et obsession de régénérescence. Son écriture, personnelle et viscérale, exprime une voix générationnelle marquée par l’angoisse existentielle, les diktats de l’apparence et la solitude contemporaine. À travers un texte cru et poétique, il explore le corps comme ultime refuge ou prison, et pose un regard troublant sur les rituels du quotidien devenus toxiques.

Lauréat de plusieurs nominations en 2022 pour la création « Danse Amandine », il a également joué dans « Bye-Bye 2024 », « C’est comme ça que je t’aime » (SRC) et « Alertes » (TVA). Sa sensibilité d’auteur se double d’un engagement scénique total.

Camille Massicotte (mise en scène)
Camille Massicotte, diplômée de l’École de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe en 2021, s’illustre par une approche dépouillée et symbolique. Révélée notamment par la bourse Hnatyshyn 2020 pour son talent en interprétation dramatique, elle navigue aisément entre univers télévisuels (« O’ », « Subito texto », « À cœur battant ») et projets théâtraux engagés. Sa mise en scène de « Corps parasite » repose sur une sobriété calculée, qui met en lumière les failles du personnage central.

Sur scène, trois éléments seulement : une chaise, une lampe de chevet couverte de post-it, et des sacs-poubelle. Trois symboles d’un quotidien qui déborde, d’une mémoire fragmentée, et d’une accumulation devenue insoutenable. Camille donne à ce décor une résonance dramatique forte, où chaque geste compte.

Pourquoi voir
« Corps parasite » ?

Parce que cette pièce bouscule. Elle parle de solitude moderne, d’identités morcelées, de notre rapport au corps, à la norme, au consumérisme et à la santé mentale. Elle jette une lumière crue sur ce que tant de personnes vivent en silence. C’est un récit poétique et brutal, livré avec une intensité rare. On en sort froissé, peut-être un peu cassé. Mais plus lucide.

Informations pratiques :

Titre : Corps parasite
Durée : Environ 50 minutes
Avertissement de contenu :
Mention d’automutilation, de suicide, de sang, de maladie mentale, de troubles du comportement alimentaire, de drogue, d’alcool et de toxicomanie.
En savoir plus : Montréal Fringe

Conclusion : une voix pour les douleurs muettes

« Corps parasite » devient une expérience. Le texte déstabilise, émeut, heurte, bouleverse. Une œuvre rare, dense, qui fait de la douleur une langue poétique et du corps une scène tragique. À voir absolument. Et surtout, à entendre. Parce que certaines douleurs ne se disent pas. Elles hurlent entre les silences, et cette pièce leur donne enfin une voix.

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